«La Fédération française de la lose rend schizophrène»

Le 05/04/2021

«La Fédération française de la lose rend schizophrène»

Créée en 2015, la Fédération française de la lose (FFL) revendique avec humour le plaisir de la défaite Made in France. Le média satirique est désormais suivi par une très large communauté de fans comme par des sportifs tricolores qui ne rêvent que d'une chose : éviter de se voir remettre la très moqueuse licence de membre de la FFL. En collaboration avec Pop&Kop, ils viennent de sortir l'affiche du « Panthéon de la lose », qui rend hommage aux bourreaux du football français. Rencontre avec Louis, l'un des fondateurs de la FFL.

Comment est née l’idée de la Fédération française de la lose ?
En regardant du sport, tout simplement ! Il y a une sorte de rengaine assez dramatique mais assez drôle en même temps dans le spectacle sportif :on a l’impression qu’à chaque fois qu'on a des attentes exceptionnelles, on finit toujours déçus. On s’est dit : «  Il y a un truc récurrent, dans cette espèce de culture de la désillusion ». Il me semble que la première fois qu'on avait évoqué l'idée, c’était en regardant les Jeux olympiques de Sotchi – mais c’est resté une idée sans suite, pendant un an ou deux, je pense. A partir des Jeux olympiques de 2016, on a commencé à envoyer des blagues, juste pour se marrer entre nous. Et de fil en aiguille, avec la viralité des réseaux sociaux, les choses ont rapidement pris de l'ampleur.

Vous êtes étonnés de l'ampleur qu'a pris votre communauté, avec des centaines de milliers de followers sur les réseaux ?
A l'origine, on n'avait pas dans l'idée de devenir un tel média satirique. C'était vraiment juste une façon de rire entre potes, donc il n’y avait pas d’attentes ou de projets réels de développement. C'est la magie des réseaux sociaux : ça a dérapé, mais dans le bon sens du terme.

Pourquoi ce nom, « Fédération française de la lose » ?
« Fédération » c'était pour le côté institutionnel de la défaite. On a l’impression que ça fait partie de la culture du sport en France : dans le tennis comme dans le foot ou dans le rugby... Et puis tous ces sports ont leur vraie fédération, donc l'idée d'une « fédération de la défaite » sonnait comme une évidence.



L'affiche Panthéon de la lose, dernière née de la boutique FFL

Est-ce que les motivations que vous aviez au début sont toujours les mêmes ?

Disons que maintenant, on a un peu plus conscience de l’impact de ce qu’on fait et de ce qu’on dit, parce que on sait qu'il y a un grand nombre de sportifs qui nous suivent. Les principaux concernés de nos contenus peuvent les lire, on a donc un devoir, ou a minima une responsabilité de bien choisir nos mots. On essaie juste de rester bienveillants avec tout le monde même si on est vraiment dans le second degré. Mais ce qui nous faisait rire au début nous fait toujours rire aujourd’hui. La ligne éditoriale n’a pas vraiment changé, on s’est juste adapté à la portée qu’elle a prise avec le temps.

Cela vous arrive-t-il de renoncer à publier un contenu ? Y a t-il de l’autocensure ?
Chaque contexte, chaque sport, chaque événement est différent, donc c’est du cas par cas. Mais oui, parfois, il nous est arrivé de changer nos plans. Il y a un exemple que je reprends très souvent, c’était la série de quinze défaites de Mladenovic [la joueuse de tennis]. On commentait cette série évidemment, parce que que notre audience attendait qu’on communique à ce sujet. A chaque nouvelle défaite, on écrivait un article. Mais à la longue, on avait envie que ça s’arrête : on se sentait mal de continuer à commenter cette actualité-là. La joueuse était déjà très éprouvée mentalement et probablement dans une période noire de sa carrière. Ça nous est arrivé de faire quelques contenus à reculons, mais aujourd’hui si on sent que le sportif va mal le vivre, on ne fait rien. Au final ce n’est pas de l’autocensure à proprement parler : ce n'est pas par peur de qui que ce soit, de la réaction d'une institution quelconque ou de se faire virer (on est indépendants de toute façon)...

Vous est-il déjà arrivé d’être contacté par des sportifs pour supprimer un post ?
Au début, oui, il y avait des sportifs qui n’avaient pas trop adhéré au concept. Quelques joueuses de tennis notamment qui nous ont bloqués de leurs réseaux. On a aussi eu des journalistes qui n’acceptaient pas qu’on ait pu rire d’un propos qu’ils avaient tenu. Des gens qui manquent peut-être de second degré. Mais encore une fois, notre but n'est pas de blesser, donc on ne cherche pas à débattre : si ça heurte, on supprime, il n’y a pas de problème.

Comment faites vous votre veille sur les résultats sportifs ?
On fait comme tout le monde, on lit des médias comme Eurosport, L’Equipe ou So Foot, on regarde les chaînes qui diffusent du sport, les émissions spécialisées… Au départ on est des fans, donc on consomme le sport comme les autres. Pour l’inspiration et les idées, on a désormais la chance d’avoir une communauté qui nous envoie tout ce qui se passe et nous mentionne absolument partout dès qu’il se passe quelque chose dans n’importe quel sport. C’est ce qui nous permet d’être aussi réactifs. Et non, nous n’avons pas cinquante écrans installés dans nos locaux (rires).


"En France, on a une vraie culture de l’autodérision, qui n’est pas forcément présente dans d’autres pays, d’autres cultures. On a aussi un mix en terme sportif entre des disciplines où on domine complètement les autres, et d’autres où on est mauvais"



C'est difficile de trouver en permanence de nouvelles inspirations ?
C’est une très bonne question : non, il n’y a pas tous les jours des articles sur des performances incroyables à relater, donc on ruse ! Par exemple, on fête souvent les anniversaires des grands événements, ça permet de remettre en avant un article. Parfois, on va essayer de traiter les sports un peu moins populaires. Il se passe souvent des choses que le grand public ignore, parce que ce ne sont pas toujours des sports très médiatisés. On essaie d'être transversaux dans le panel de sports qu’on traite, même si on n’est pas forcément des experts de tous les sports…

Quels sont les sports les plus susceptibles de générer de la lose ?
Je pense que le foot et le tennis arrivent en tête. Le foot, parce qu’il y en a toute l’année et que c’est le sport le plus populaire du monde et le plus suivi en France : il y a plus de matchs, donc forcément plus de matière. Quant au tennis, on a beaucoup de joueurs, mais aucun n'est un « vrai winner » - ils ne sont pas mauvais, mais il y a mieux, si je puis dire ! Et comme pour le foot, hormis la pause annuelle, il y a des tournois toute l’année. Disons que la popularité d’un sport et la récurrence des événements sportifs sont vraiment les deux facteurs qui vont aiguiller la quantité de contenus qu’on peut produire sur un sport.

Si tu ne devais retenir qu'une seule lose, ce serait laquelle ?
Alors, les goûts et les couleurs... c’est compliqué, et très personnel, même au sein de l’équipe, je pense qu’on a tous des avis divergents. Il y en a beaucoup, des losers ! C’est aussi difficile de comparer les sports, les époques… Mais il y a forcément le France-Bulgarie du 17 novembre 1993, où la France était supposée se qualifier facilement pour la Coupe du monde de foot, et perd à domicile sur un but à la dernière minute qui était largement évitable. Ça a été un grand fiasco… mais on s’en est remis (rires). Celui-là devrait probablement arriver en tête de liste, surtout car c’était un échec collectif… Mais on pourrait aussi citer la demi-finale contre l’Allemagne au Mondial 1982, par exemple. Le Mondial 2010, aussi, à sa façon, est également une grosse lose… C'est difficile d’en choisir une seule !

Comment avez-vous fait pour trouver des loses durant le premier confinement, avec l'arrêt des compétitions ?
C’est vrai que le confinement, ce n’était pas la joie au niveau du sport, effectivement ! (Rires) Pour continuer à poster, on a dû improviser. On commentait tout le reste, comme Koh Lanta, les faits divers... On a fait des concours dans lesquels les gens racontaient leurs histoires de sportifs ou de supporter, on a fait des rétros, en racontant les événements sportifs passés… On a vraiment dû gratter dans les archives de la lose française, ça nous a permis de faire un petit travail d’investigation. C’était assez intéressant, au final.

La FFL, c'est aussi une boutique en ligne avec des produits cools. Vous venez de sortir l'affiche du Panthéon de la lose, mais vous avez aussi pas mal de t-shirts !
C’est venu pendant Roland-Garros 2018, je crois. C’est parti d'un jeu de mots sur « Benoît Perd », on avait repris son nom de famille en l’orthographiant… comme il se doit (rires), et on en a fait un t-shirt. On a vu que ça faisait rire les gens, alors quand on a lancé notre site internet on a décidé de proposer une boutique avec des cadeaux marrants, plein de second degré.

Est-ce que l'idée d'une fédération de la lose est transposable dans d'autres pays ?
Je pense quand même que c’est un concept bien Franco-français : on a une vraie culture de l’autodérision, qui n’est pas forcément présente dans d’autres pays, d’autres cultures. On a aussi un mix en terme sportif entre des disciplines où on domine complètement les autres, et d’autres où on est mauvais – ou en tout cas absents des premiers rôles depuis très longtemps. Par conséquent, dans certains sports on a de grandes attentes et dans d’autres on est souvent frustrés et déçus. Au final, il faut aussi être un pays bon en sport pour que la défaite ait une saveur ou un quelconque intérêt humoristique : si on était un petit pays qui perdait tout le temps, ce ne serait pas drôle de rire de la défaite.

Au final, vous préférez quand la France gagne, pour la fierté, ou quand elle perd, pour les loses?
Parfois, la Fédération française de la lose, ça rend schizophrène, parce qu'on est content dans les deux cas ! (Rires) On ne souhaite jamais perdre, mais quand ça arrive, on est là pour en rire. C’est comme ça qu’on se positionne. Si la France gagne, on va être content à titre personnel, parce qu’on est des supporters avant tout, qu'on connaît bien nos sportifs ; et quand ils perdent, c’est que le devoir nous appelle ! (Rires)

Propos recueillis par Zoé Nocent

Retrouvez la dernière création de la Fédération française de la lose, en partenariat avec Pop&Kop et son illustrateur Edouard Beitz: notre affiche du Panthéon de la lose.